Le Groenland, dans l'idée c'était fameux. Puis il a fallu étudier la faisabilité du projet. PRAG a beau avoir les pattes longues, il est exigeant. Les pistes en herbe, très peu pour lui. Il lui faut une piste goudronnée d'au moins 800 mètres de long pour se poser.

Quelques recherches plus tard (merci internet), nous avons établi la première carte de notre périple. Les escales étaient à peu près définies, restait encore à travailler sur les aérodromes. Dans l'idée, nous partirons donc de l'aéroport de Cannes direction Cherbourg, puis le Nord de l'Ecosse, les îles Féroé, l'Islande, puis la ville de Kulusuk sur la côte Est du Groenland, on contourne ensuite le Groenland par le sud jusqu'à Upernavik sur la côte Ouest… et on revient. 

Trajet depuis la France

Détail du trajet entre les îles Féroé et le Groenland

Le plus engageant dans ce trajet reste le survol maritime. Nous allons survoler des eaux froides, peu fréquentées et ce type de voyage demande un peu de préparation. Dans les préparatifs, il faut tout envisager, surtout le pire. Non pas être pessimistes, mais juste savoir comment réagir en cas de problème et surtout avoir l'équipement nécessaire pour attendre. Nous nous sommes donc procurés un radeau de survie, ainsi que des combinaisons étanches. Un clin d'oeil, d'ailleurs, aux personnes qui nous ont rendu service pour cette phase là. Un merci tout particulier à JJ et PIXAIR.

Ensuite, il fallait une balise de détresse afin que l'on puisse nous localiser en cas de problème. Là, nous avons hérité d'un petit bijou en matière de technologie. C'est une balise Silex iridium pour les futurs voyageurs que ça intéresserait. Compacte, elle sera fixée sur le tableau de bord de PRAG. En cas de problème, il nous suffira d'appuyer sur un bouton pour transmettre nos coordonnées géographiques. Enfin petit détail, qui va vous intéresser vous, chers lecteurs du blog, vous pourrez avoir un lien pour suivre en temps réel (décalage de 10 minutes) notre position.

La balise Silex Iridium

A ce stade là des préparatifs nous étions donc, dans nos têtes, comprimés dans nos combinaisons de survie, la balise consciencieusement accrochée au tableau de bord, le radeau de 7 kilos sur les genoux du passager arrière. Nous étions déjà loin du jet-privé, mais nous avions alors encore au moins de quoi changer de chaussettes chaque jour, et de T-shirt à la semaine…

Après avoir pensé à ce que l'on DEVAIT prendre, il a fallu penser à tout ce que l'on NE DEVAIT PAS prendre. PRAG est courageux, certes, mais il ne s'appelle pas ATLAS pour porter le monde entier sur son dos. Tout kilogramme superflu devait être éliminé. S'en est alors suivi une discussion très succincte et non négociable (heureusement nous sommes tombés d'accord) : 2 paires de chaussettes chacun, 1 T-shirt de rechange seulement, 2 bosses à dents pour 3, 1 tente pour 3, 0 déodorant pour 3 (à ce stade là, de toute façon…). Marie sera en charge du contrôle des sacs au moment de l'embarquement (ça, les gars l'apprendront par contre à la lecture du blog).

Puis nous nous sommes entrainés. Direction la Corse pour commencer histoire de familiariser PRAG à l'air marin, cap au Sud, histoire d'y aller en douceur. Et quand à l'heure de rentrer, le contrôleur aérien de Nice nous demande de faire un détour et un passage pour qu'il puisse admirer notre avion depuis la tour juste parce qu'on lui a dit à la radio que notre avion était particulièrement joli, quand on aménage un créneau à PRAG entre deux airbus pour qu'il puisse faire son beau au dessus de la piste et qu'on rentre pour finir 50 bornes plus loin, on se dit que le Groenland promet de bons moments...

Enfin nous ne saurions conclure cet article sans parler des gens qui ont été d'une aide précieuse à notre projet. Tout d'abord, un grand merci à Jérôme et Photospace qui nous prêtent la balise. Merci aussi à Christian et toute l'équipe de Grands Espaces pour leurs conseils avisés sur le Groenland qu'ils sillonnent depuis plus de 10 ans, vous êtes une source inépuisable de renseignements. Enfin "last but not least, Mogens, pilote danois à la retraite qui a survolé le Groenland en hélicoptère pendant 20 ans et qui nous a fourni tous les conseils aéronautiques autour de bons repas. Tusind tak Mogens og Elisabeth af deres kostbar instruktion !

Maintenant, rendez-vous pour le départ ?

Nous sommes 3. Toujours partout, nulle part, dix idées à la minute, mais ne nous demandez surtout pas où nous habitons, nous ne savons pas répondre simplement à cette question.

Pour parler du reste : 

Julien… dit Ju est né à Nice en 1986. En 2008, il entre à l'Ecole Nationale de l'Aviation Civile (ENAC) et ressort 3 ans plus tard Pilote professionnel avion. Il est alors embauché comme pilote pour un programme scientifique qui effectue des comptages aériens d'animaux en mer. Il travaille également comme instructeur sur avions légers et dernièrement comme pilote de ligne sous le soleil des Caraïbes. En dehors du boulot, il ne tient pas en place, il saute. Sauts de rochers, de ponts ou d'avion, peu importe tant qu'il s'envoie en l'air. C'est d'ailleurs sûrement pour cela qu'il s'entend si bien avec Stéphane…

… Dit Lulu, né en 1977, est Haut-Savoyard d'origine. C'est lui qui a dégoté F-PRAG et qui en est l'heureux propriétaire. Pilote professionnel hélicoptère depuis une quinzaine d'années, Steph a commencé à piloter les hélico dans l'armée où il y a passé 10 ans. Il a ensuite enchaîné différents boulots dans le domaine et est maintenant pilote chez RTE. En dehors du travail, lui aussi s'envoie en l'air. Parapente, parachute, planeur, avion, dirigeable, wing-suit…. Il a tout essayé. Puis il a commencé à fréquenter les régions polaires notamment grâce une expédition de Jean-Louis Etienne avec qui il a travaillé. En 2009, il effectue également une mission en tant que pilote pour l'institut polaire français (IPEV) sur la base française de Dumont d'Urville en Antarctique où il rencontre Marie…

… Dite Marie est née à Grasse en 1984. Elle, n'est pas comme eux. Elle a les pieds sur terre, la tête en l'air :  elle étudie les oiseaux. Biologiste de formation, spécialisée en écologie, elle a  travaillé pour le CNRS pour un programme d'études des oiseaux et mammifères marins en Antarctique. Puis elle a travaillé pour un programme scientifique qui effectuait des comptages d'animaux marins… comptages aériens dont le pilote était Julien…

… dit Ju. Oui vous commencez à y voir plus clair. Steph rencontre alors Julien via Marie. Une boucle est bouclée.  

Vint alors l'envie d'allier toutes nos passions. Mêler le plaisir pur du pilotage et de l'aéronautique avec l'envie de découvrir de nouveaux horizons… l'Arctique... Et que dire alors d'aller au Groenland ?

Si vous avez lu notre premier message et que vous êtes encore là, c'est sans doute que vous tombez doucement sous le charme du Cozy. Mais ce n'est rien comparé au coup de foudre qui vous attend une fois que vous aurez rencontré le PRAG… Voici donc l'histoire du numéro 279 de chez Cozy.

 Le Cozy numéro 279 est né à Vannes le 10 juin 1992 sous le petit nom de F-PRAG (Fox-Papa Roméo Alpha Golf pour les alpha-internationaux). La première lettre de cette immatriculation définit le pays d'origine de l'avion. F-PRAG est français. Nous avons le G- pour le Royaume-Uni, le OY- pour le Danemark… bref. Selon le pays, il y a ensuite un code spécifique pour certains avions. En France, la seconde lettre nous donne une idée de qui se trouve en face de nous. Les F-Cxxx sont les planeurs, les F-Jxxx les ULM, les F-Pxxx les avions de construction amateur. F-PRAG appartient à cette dernière famille. Enfin, les 3 dernières lettres sont l'identité propre de l'avion. F-PRAG est unique.

 F-PRAG, disons PRAG pour les intimes, a obtenu son Certificat de navigabilité le 7 juillet 1992, soit un petit mois après son tout premier vol. Ayant alors obtenu le droit de voler, il ne s'en est donc plus privé. Equipé d'un moteur Lycoming O-320 de 160 chevaux, l'avion enchaîne donc les vols sur tous les terrains de Bretagne. PRAG n'est pas tchèque, c'est sûr il est breton. Le 28 juin 1994, il effectue son premier et unique vol (à ce jour) à l'étranger pour un aller-retour France-Jersey. Puis pendant un peu plus de 17 ans, PRAG va écumer les terrains de Bretagne, de la côte Atlantique française et quelques autres terrains de nos régions de France avec, aux commandes, Monsieur Genette, son constructeur.

 Le 29 octobre 2009, PRAG est vendu, il déménage. Nouvellement basé à Biarritz, l'avion change alors de région et devient basque d'adoption. C'est sûr PRAG est un rebelle. Pendant 3 ans, il continue de voler dans le Sud-Ouest de la France. Il faut dire qu'il vole vite 150 noeuds (soit 278 km/h) en vitesse de croisière; consomme 25 litres par heure en moyenne, (ce qui est peu pour un avion); et a les pattes longues (6 heures d'autonomie). 

Le Cozy F-PRAG

Puis le 29 juin 2012, PRAG est de nouveau vendu. Il change de propriétaire. PRAG est à nous, nous sommes à lui. Il s'envole alors vers des terrains de transit : Aix en Provence, Aubenas, Pau, Deauville, Brives-la-Gaillarde, Cannes, Gap. Il n'est basé nulle part. C'est sûr, PRAG est un forain. A cette période, il a alors 20 ans et une petite rénovation s'impose à lui. Il entre donc dans une sorte de longue période d'hibernation qui va durer presque un an. A Pau, PRAG est entièrement repeint par un ami qui peint habituellement les motos. Gillou (alias Bleu Cerise du nom de sa société) est un artiste. PRAG ressort deux mois plus tard complètement métamorphosé. C'est à ce moment là, je crois, qu'on lui a juré fidélité. Puis l'heure de la rénovation intérieure arrive. PRAG part alors à Gap en Novembre 2012 : là-bas on lui refait sa sellerie -un bel intérieur en cuir gris- et tout son tableau de bord avec des instruments high-tech'. Christian et Pierre vont travailler comme des fourmis sur l'avionique pendant des mois. Un travail de pro. PRAG, équipé comme un avion de ligne, n'a plus rien à envier aux "grands"… C'est sûr PRAG est un bobo.

                                                  Rénovations extérieures et intérieures F-PRAG

                                                   Rénovations terminées F-PRAG

Le 25 mai 2013 PRAG ressort des hangars, il n'a pas volé depuis 6 mois. Il reprend son envol. C'est reparti pour de nouvelles aventures...

Le F-PRAG

 Je ne vais pas vous faire ici une prose de ce qu'est exactement le Cozy. Vous trouverez des sites, des images et des définitions sur internet qui nourriront bien mieux votre curiosité que ma petite explication raccourcie. Cependant, le monde aéronautique est bien mal connu "du tout un chacun" et une présentation générale du contexte ne sera pas superflue. A la différence des voiliers que l'on peut admirer librement dans les ports, les avions sont, quand à eux, parqués sur les aérodromes, enfermés dans leurs hangars ou emitouflés dans leurs housses et ne laissent pas libre court à notre imagination. Et pourtant… 

 Le Cozy est un avion conçu aux Etats-Unis dans les années 1980 pour la construction amateur. Autrement dit, le Cozy est un avion construit de façon non industrielle à partir de plans que l'on achète. Vous l'aurez donc compris, il n'existe pas deux Cozy identiques ! 

 Le Cozy fait partie de la famille des "avions canards", avions possédant une surface portante à l'avant du fuselage, plus petite que l'aile principale placée à l'arrière. Le "canard" est aussi appelé "moustaches" et donne à ces avions un profil particulier. Dans cette famille d'avions, on retrouve le  VariEze et le Long-EZ (bi-place en tandem) ancêtres du Cozy qui possède quand à lui au minimum 2 places (côte à côte), voir 3 ou 4 places (1 ou 2 places derrière).

Le Long-EZ F-PYSY 

 Autre particularité de notre "canard", la bête possède le moteur et donc l'hélice à l'arrière, ce qui finit de lui donner sa réputation de drôle d'oiseau… au point même de confondre, au premier regard, l'avant de l'arrière… je vous aurais prévenu.

 Mais ne vous fiez pas aux apparences. Jamais. Sa différence saura conquérir votre coeur d'ici peu… Après les premiers commentaires (désobligeants oblige), la belle tombe amoureuse de la bête… et le Cozy arrive même à vous convaincre de faire un crédit pour passer votre brevet de pilote. Vous lui jurez fidélité. Vous n'avez d'yeux que pour lui. Le Cozy va vite, consomme peu et donc va loin. Le Cozy est un vagabond.